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Cayou à Moscou
24 août 2007

Le Transsibérien - Jour 2 - 26 heures de train

Si vous avez suivi attentivement ce que je vous ai narré dans la partie précédente, vous n'ignorez pas que je suis montée dans le train la veille au soir et que je me suis endormie comme une masse aux alentours de minuit. J'ai omis de vous informer que j'ai embarqué pour Sverdlovsk que je rallie en pas moins de 26h23 minutes non-stop sur les rails.

Normal que le nom de cette agglomération ne vous évoque rien puisque Sverdlovsk est en fait l'appellation que la ville de Iekaterinbourg a eu de 1924 à 1991 (si ce dernier nom ne vous parle pas plus, je ne vous en veux pas. Je ferai de toutes façons une petite mise en bouche à ce propos dans la suite).

Illustration de "courir à sa perte" ou les subtilités du maniement des billets de trains russes

logo_rjd_petitSi j'ai mentionné les deux noms de Iekaterinbourg, c'est parce que la РЖД (RJD en latinisation française, RZD en anglais, qui est le nom de la société des chemins de fer russes, ci-contre, son logo) utilise encore les noms soviétiques pour désigner par exemple Iekaterinbourg (Sverdlovsk) et Nijni-Novgorod (Gorki).

Si un jour vous empruntez les rails russes, il vous faudra également savoir que les trains pour Saint Pétersbourg partent de la gare de Leningrad.

Que si une vieille dame vous indique le train pour Pétrograd alors que vous lui avez demandé celui pour Saint Pétersbourg, elle n'est pas en panne de sonotone, contrairement aux apparences, puisqu'elle a bien répondu à votre question.

Ou que si un jeune vous informe que lui va à Piter lorsque vous lui avez dit que vous vous rendiez à Saint Pétersbourg, vous allez monter dans le même train.

Il suffit de se rappeler que Saint Pétersbourg, Leningrad et Pétrograd ne désignent qu'une seule et même ville. Quant à Piter, c'est le diminutif que les jeunes emploient pour désigner Saint Pétersbourg (et on se prend vite à utiliser ce raccourci car il est vrai que Piter est plus aisé à articuler que Санкт-Петербург, prononcé Sankt-Péterbourgue).

Outre ce petit jeu de mémoire avec le nom des destinations, il y a un autre grain de sable (format parpaing tout de même) dans l'engrenage bien huilé des aventuriers partis à la conquête de l'Est lointain et mystérieux.

L'autre difficulté pour emprunter les rails russes est que nous autres Français du bon et petit pays de France n'avons jamais été confrontés au problème des fuseaux horaires puisque toutes les gares de notre grande nation (une légère bouffée de patriotisme ne nuit pas à la santé. Vous la voulez avec ou sans filtre ?) sont réglées à la même heure (l'heure du Ricard baveraient les mauvaises langues.).

En Russie, un État qui s'étend sur pas moins de 10 fuseaux horaires, la donne est différente. Comment les Russes ont-ils résolu le problème ? Non, non, exceptionnellement, ils n'ont pas tué tout le monde comme au temps du KGB, ils ont cette fois opté pour la méthode douce : tous les billet_de_train_moscou_iekaterinbourghoraires de trains Grande Ligne sont donnés à l'heure de Moscou, y compris sur les billets (d'ailleurs, j'imagine que vous ne savez pas à quoi ressemble un billet de train Grande Ligne russe. En voici donc une illustration ci-contre.). Au voyageur de connaître le décalage horaire de sa destination.

Cette petite particularité aboutit parfois à des situations cocasses, notamment lorsqu'on demande l'heure à un autre passager.

Il m'est arrivé une fois de m'enquérir de l'heure qu'il était à une passagère originaire de Vladivostok. Elle m'a d'abord demandé quelle heure je voulais en m'indiquant qu'elle ne disposait que de celle de Vladivostok. Et bien soit, j'ai pris l'heure de Vladivostok. J'ai enlevé 7 heures pour avoir l'heure de Moscou avant d'en rajouter 4 pour obtenir l'heure locale. Mais non, ça n'est pas compliqué. De toutes façons, il n'y a pas grand chose à faire dans le train... un petit peu de calcul mental peut être considéré comme une aubaine pour s'occuper un moment.

A propos du système d'horaire des trains russes, ça fait parfois tout drôle de prendre un train à 17h (heure de Moscou) et qu'il fasse déjà nuit (parce qu'il est 22h à l'heure locale). A vrai dire, ça accroit la sensation d'être complètement hors du temps éprouvée lors du voyage en Transsibérien comme nous l'avons entrepris. Mais ma foi, une impression de coupure spatio-temporelle ne fait pas de mal parfois. Je dirai même que ce sentiment de décalage est même plutôt agréable.

Puisque je parlais des trains, je dois vous détromper sur un point. Ah non. Sur deux.

Premier point : Le Transsibérien, comme je l'ai indiqué précédemment, n'est pas un train particulier, mais désigne uniquement la voie reliant Moscou à Vladivostok. Les trains qui roulent sur ces rails ne sont ni plus ni moins "luxueux" que tous les autres trains Grande Ligne qui circulent en Russie. Il existe bien quelques exceptions puisque certains trains privés peuvent être empruntés mais le prix du billet varie du simple au quintuple. Et il est peu probable de croiser des Russes "normaux" dans ces trains de luxe qui sont un épiphénomène dans le parc ferroviaire qui traine ses bogies sur les rails russes.

plan_platskartDans ces trains, il y a généralement 4 classes : les wagons de places assises, les wagons "platskart" (couchettes 3ème classe, le seul type de wagon que j'ai emprunté en Russie. 54 lits dans le wagon organisés en 9 blocs de 6 lits. Voir plan d'un wagon "platskart" ci-contre), les wagons "coupé" (couchettes 2ème classe. 8 ou 9 compartiments de 4 lits) et un dernier type de wagon qui renfermerait les couchettes 1ère classe mais je n'en ai jamais vu donc je ne sais pas à quoi ça ressemble. Bref. Tout ça pour dire qu'à moins de payer le prix fort, on ne pète pas dans des draps de soie dans le Transsibérien, contrairement à ce que la majorité des gens semblent croire. Personnellement, ça ne m'a posé aucun problème, un peu de galère pimente un poil le voyage (s'il en avait encore besoin puisque rien que le fait d'emprunter la mythique voie Transsibérienne se suffit à lui-même) mais je voulais que la lumière soit faite à ce sujet. Mes spoutniki et moi-même avons donc voyagé dans les mêmes conditions que les Russes au même prix que les Russes et avec des Russes.

Deuxième point : le Transsibérien n'est pas que pour les touristes. En réalité, ils sont tout à fait marginaux sur les rails. 10% des voyageurs tout au plus.

Maintenant que j'ai amené la lumière dans la cave de votre ignorance, nous pouvons passer à une partie tout aussi chiante que mes bouffées de complexe de supériorité : un petit descriptif géographique et historique sur Iekaterinbourg. Non pas que ce soit vraiment indispensable mais mettre en forme ce genre de topo pour vous, chers lecteurs, m'aide à me cultiver. C'est donc purement égoïste finalement. Assez parlé de mon nombril, sautons dans le petit descriptif.

Un petit topo sur Iekaterinbourg, notre première étape

Coat_of_Arms_of_Yekaterinburg__Sverdlovsk_oblast___1998_Il est parfois décrété par les guides touristiques que Iekaterinbourg (Armoiries de la ville ci-contre) est la troisième ville de Russie après Moscou et Saint Pétersbourg. J'émets néanmoins quelques réserves quant à ce classement étant donné qu'en termes de population, c'est Novossibirsk qui prend la troisième marche du podium des plus grandes villes de Russie avec 1,4 millions d'habitants contre 1,3 millions pour Iekaterinbourg.

Quoiqu'il en soit, Iekaterinbourg n'en reste pas moins une ville importante puisqu'elle est la capitale administrative, culturelle et économique de la région de l'Oural. Géographiquement, elle est située en Asie, un petit peu à l'est de l'Oural et est irriguée par la rivière Iset (Исеть, prononcer "Issette") longue de 606 km (c'est-à-dire un ru à côté de l'Ob et de ses 4345 km). A vol d'oiseau, la ville se trouve à 1667 km à l'est de Moscou mais le trajet en train pour joindre Moscou à Iekaterinbourg fait 1814 km.

La ville tire son nom de deux Iekaterina: la sainte patronne russe des mines et l'épouse de Pierre Le Grand (future impératrice régnant sous le nom de Catherine Ière, en russe : Екатерина Iekaterina).

Historiquement parlant, Iekaterinbourg traîne une réputation sulfureuse depuis le début du 20ème siècle à cause de deux vagues de meurtres sanglants, la première étant probablement la plus tristement célèbre.

Nicholas_II_of_Russia_painted_by_Earnest_LipgartC'est en effet dans les caves de la Villa Ipatiev de Iekaterinbourg que le tsar Nicolas II de Russie (voir illustration ci-contre), sa femme Alexandra Fiodorovna, leurs 5 enfants (le tsarévitch Alexis et les grandes-duchesses Olga, Tatiana, Maria et Anastasia), leur médecin (Evgueni Botkine), leur cuisinier (Ivan Kharitonov), leur valet de chambre (Alexis Trupp) et leur femme de chambre (Anna Demidova) furent assassinés dans la nuit du 16 au 17 juillet 1918, mettant ainsi fin à la dynastie des Romanov.

L'exécution de ces 11 personnes fut orchestrée par les bolcheviks qui craignaient probablement une contre-révolution. Ils envoyèrent donc une équipe de la Tchéka, la police politique secrète et l'outil de répression qui deviendra le KGB, pour exterminer la famille impériale. Ce massacre s'avérait être tout à fait dans les cordes de la Tchéka puisque Felix Dzerjinski avait fondée cette dernière en 1917 "pour liquider combattre les ennemis du nouveau régime bolchévique". Le commando chargé du meurtre était dirigé par le chef de la Tchéka locale, Iakov Iourovski, lui-même agissant sous les ordres de Iakov Sverdlov. Ce dirigeant bolchevik, bras droit de Lénine (jusqu'en 1919 puisque Sverdlov passe cette année-là de vie à trépas à cause d'une bête grippe) donnera son nouveau nom à Iekaterinbourg en 1924 : Sverdlovsk.

La deuxième vague de sang qui entache la réputation de Iekaterinbourg a eu lieu en 1993 avec une centaine de morts liés à des tueries perpétrées par la Mafia et qui furent particulièrement féroces cette année-là.

En effet, l'Oural et sa capitale occupent la première marche du podium dans l'édifiant palmarès de la criminalité en Russie. La région  étant un important noeud ferroviaire pour les trains en provenance d'Asie (trains qui peuvent fortuitement contenir des substances illicites comme de la drogue) et étant particulièrement bien pourvue en ressources susceptibles d'attirer les devises étrangères (métaux et pierres précieuses notamment), la possession des ressources ou le trafic d'influence provoquent une terrible guerre des gangs à Iekaterinbourg. La ville est régulièrement le théâtre d'affrontements sanglants entre les deux camps les plus puissants, ce qui a valu à la ville d'être surnommée "Chicago-sur-Oural" par la presse.

La ville fondée par Pierre Le Grand (le même que celui qui avait fabriqué le bateau que j'avais vu lorsque j'étais allée à Pereslav Zalevski) a fait bien du chemin dans des ruelles sombres et sanglantes depuis sa naissance en 1723 puisqu'à la base, Iekaterinbourg était destinée à être une forteresse-usine exploitant les richesses minières de l'Oural dans le cadre de la politique de colonisation de la Sibérie mise en place par Pierre Le Grand.

La Seconde Guerre Mondiale fit de la ville un centre industriel majeur, accueillant des centaines d'usines transférées depuis les régions vulnérables de l'Ouest de l'Oural. Demeurée un centre important pour l'armement, elle fut interdite aux étrangers de 1960 à 1990 en raison de ses nombreux combinats militaro-industriels de pointe (chimie notamment), mais tout ce secret n’a pas évité quelques accidents biologiques et écologiques graves, dont le plus tragique, survenu en 1979 et encore très présent dans la mémoire collective, déboucha sur un bilan officiel de soixante-quatre victimes.

"La ville a connu une épidémie de maladie du charbon (en anglais : anthrax) en avril et mai 1979 Les autorités soviétiques de l'époque l'attribuèrent à de la viande contaminée. Cependant, les autorités américaines pensent que les habitants ont peut-être inhalé des spores échappées accidentellement d'une installation militaire de production d'arme biologique, l'accident fut officiellement reconnu en 1992 par Boris Eltsine.

Il semblerait que d'autres fuites (au moins une) se soient produites mais le silence le plus total est encore maintenu à ce sujet." (Source: Wikipedia)

Des vestiges de cette époque parsèment encore la ville, des avions de chasse fièrement exposés dans les préaux d'écoles aux missiles encadrant la façade du Musée d'Histoire Militaire de la ville. Il paraît d'ailleurs que c'est un missile du genre de ceux qui sont exhibés qui, le 1er mai 1960, descend le pilote américain Gary Powers et son avion espion, un U-2, au dessus de Iekaterinbourg. Le capitaine Powers sera échangé après deux ans de détention en U.R.S.S. contre l'espion soviétique Rudolph Abel le 10 février 1962 sur le Pont de Glienicke.

A la fin des années 1970, un diplômé en génie civil de l'Université locale, un certain Boris Eltsine, commence à marquer la politique de son empreinte en s'élevant au rang de chef du parti communiste régional, puis de gouverneur, avant d'être promu à Moscou en 1985.

Après avoir souffert de la dépression économique et des méfaits de la Mafia au début des années 1990, l'activité économique de Iekaterinbourg est repartie depuis une dizaine d'années et une visite dans la ville laisse voir de nombreuses et imposants buildings flambant neufs.

Se fait-on chier comme un rat mort 26 heures dans le train ? Même pas.

A 23h25 le 9 juin, j'ai donc embarqué à bord du train 010 ИА et j'ai effectué la suite d'actions qui allaient devenir une routine au long du voyage.

Ainsi, après vérification par la provodnitsa (la responsable du wagon) que mon numéro de passeport soit bien le même que celui indiqué sur mon billet de train, j'ai donc cherché ma place, la 50, c'est-à-dire une couchette en haut dans le couloir, près du titan (c'est le nom du samovar dans les trains. J'ai demandé pourquoi on l'appelait ainsi aux Russes mais ils n'ont pas su me répondre très précisément. Tout ce que j'ai pu tirer d'eux, c'est que ça n'a pas de rapport avec les géants mais plus probablement avec le titane, le métal, qui, d'après ce que j'ai compris, entre peut-être dans la fabrication des samovars des trains).

J'ai posé mes sacs dans l'espace très inaccessible au dessus de la couchette, descendu mon matelas et mon oreiller, payé mon jeu de draps, pris une couverture, fait mon lit et puis, après ce qui doit prendre à tout casser une demi-heure, commence ce qui compose 90% du trajet : trouver quelque chose à faire pour s'occuper.

En l'occurrence, vu l'heure et l'extinction des feux dans le wagon, je n'avais pas d'autre choix que d'aller dormir. Par chance, je n'ai eu aucun problème à trouver le sommeil vu que les habituels éléments perturbateurs qu'on retrouve statistiquement dans tous les wagons étaient relativement éloignés de ma couchette. Ainsi, à proximité, pas de bébé qui pleure et fait caca, pas de ronfleur, pas de vieux qui pue, pas d'ivrogne et pas non plus de pipelettes qui parlent toute la nuit.

Seul le jour me réveille aux alentours des 7 heures (heure de Moscou, ce qui sera toujours le cas sauf si je précise qu'il s'agit de l'heure locale). Je prends quelques photos du wagon qui dort et retourne somnoler jusqu'à me lever aux alentours des 11 heures. Profitant du fait que le matinal Badock soit également éveillé, je prends mon petit déjeuner en sa compagnie. Au menu, thé, kacha blanche à la fraise (sorte de porridge) et fruits secs. Et comme finalement, il est quasiment midi, j'ajoute à ce repas riche en qualités gustatives une lapcha (soupe de pâtes).

Ce qui me permet de vous avoir présenté en un tour de cuillère à pot l'univers gastronomique qui compose la majorité des repas pris dans le train grâce à l'eau chaude disponible à volonté au samovar.

De temps à autre (environ 2 fois en 26 heures, je crois), le train s'arrête entre 5 et 20 minutes dans une gare où le quai est pour l'occasion transformé en véritable marché et où les babouchki ou de simples marchands vendent des pirojki (petits pains fourrés sucrés ou salés), des beignets, des samsas (triangles de pâte fourrés à la viande ou au fromage), des poissons fumés ou séchés, des kolbassi (grosses saucisses sèches pouvant être fabriquée à base de "viande d'oiseau" (traduction littérale signifiant probablement volaille), de porc, de cheval, de chien écrasé ou autre charogne non identifiée), des fruits, de la bière, des jus de fruits, des oeufs durs, du pain, du pseudo-fromage (c'est du fromage russe), des chips, des biscuits, des glaces un peu fondues, des lapchi (pluriel de lapcha), des mots croisés, des sudokus, des bibelots souvenirs et d'autres trucs dont je ne me souviens plus.

Sur le marché, il faut vendre et acheter vite pour que les passagers puissent remonter dans le train avant qu'il ne reparte. Il n'y a donc pas de place pour les formules de politesse ni les chichis. On doit se dépêcher de comprendre le prix des denrées pour éviter de se faire réprimander par les vendeurs. Mais c'est bien, ça fait progresser en russe.

Le Russe type, surtout l'homme, se ravitaille à chaque arrêt en bière et poisson séché qu'il savourera avec les autres mâles du wagon et ce, quelle que soit l'heure de la journée. C'est un phénomène assez intéressant quand on connait l'odeur du poisson séché et si on sait que ces apéros peuvent tout à fait commencer à 8 heures du matin. A la rigueur, tant que les Russes et leurs poissons ne sont pas trop conviviaux et qu'ils n'invitent pas les seuls Français du wagon (qui sont d'ailleurs souvent les seuls étrangers du wagon. Voire du train.) à partager ces appétissantes denrées, tout va bien. Dans le cas contraire, ça se corse. Mais je développerai plus tard.

Le train s'arrête dans une gare dont j'ai oublié le nom pour un quart d'heure aux environs de 12h30. J'achète une glace et me dégourdis un peu les jambes (ça faisait 13 heures que je n'étais pas sortie du train). Le train reparti, je savoure ma glace qui se liquéfie à une vitesse record grâce à la chaleur du titan. Je remonte sur ma couchette et continue "Souvenirs de la maison des morts" de Dostoïevski en écoutant de la musique. Je jette de temps à autre un oeil au paysage mais il change peu. La Russie déroule une suite relativement monotone de forêts de bouleaux, de taïga, de steppe, d'étangs, d'une alternance de collines et de plaines, de champs labourés qui laissent la terre ocre à nu, de villages aux isbas déglinguées en bois sombre et de routes en terre battue, le tout écrasé par un ciel bas et gris.

Fatiguée de lire et de regarder le paysage, je vais me débarbouiller le museau et le reste dans les toilettes super classe. D'ailleurs, que Dieu bénisse l'inventeur des lingettes vu que je n'ai pas encore passé le stade initiatique de la prise de douche dans les toilettes du train. J'en profite pour changer les vêtements que je porte depuis la veille et pour étrenner mon t-shirt siglé BMSTU.

En revenant, je m'assois sur l'une des couchettes basses. Mon t-shirt déclenche des questions de la part mes voisines. Nous faisons donc les présentations et je fais connaissance avec Tamara et Elena, 2 dames d'une soixantaine d'années qui viennent de Kirovsk (une petite ville proche de Mourmansk). Nous discutons et plaisantons longuement pendant que Véra, une autre dame en face d'elles, tricote en silence une chaussette pointure 54. L'une des deux dames parle un petit peu anglais (mais rien de très utile pour notre conversation, malheureusement).

Qu'importe, je continue en russe et elles m'invitent à prendre le thé avec elles en m'expliquant qu'elles vont pour la première fois de leur vie faire une excursion de 3 jours autour du lac Baïkal. Mais il leur faut 5 jours de train  pour rallier leur ville au Baïkal. Et elle le font d'une traite...

L'une des deux dames est peintre et l'autre est pianiste. Nous bavardons, elles me montrent des photos de leurs enfants, de leur ville, l'une d'elle me dessine un samovar quand je lui demande l'origine du nom de "titan" et l'autre m'offre une photo du centre de Kirovsk en écrivant au dos son adresse et qu'elle me recevrait volontiers si je passais dans la région de Mourmansk.

Elles me redonnent du thé, avec du miel cette fois "pour soigner mon rhume", me disent-elles. Ces deux dames se sont révélées très drôles et très attachantes. D'ailleurs, le hasard fait que je les recroiserai fortuitement deux fois dans la suite du voyage.

Alors que notre train passe sur la Kama (Rien à voir avec le "sutra". La Kama est un affluent de la Volga long de seulement 2032 km, bordé à Perm de seyants terminaux à conteneurs) et que nous arrivons à Perm, Lioubov, une femme d'une quarantaine d'années qui voyage sur la couchette en dessous de la mienne, se joint à la conversation lorsque les deux dames me parlent de ce que je dois faire pour soigner mon rhume.

Lioubov me dit qu'elle a de l'huile chinoise pour soigner les rhumes. Elle sort de son sac un tout petit flacon et m'ordonne de me passer de l'huile sous le nez. L'huile sent le Vicks Vaporub et me fait du bien. Je le lui dis et elle me fait cadeau de la petite bouteille en me disant qu'elle n'en a pas besoin et qu'elle sait de toutes façons où en trouver.

Il est 19h30, le train s'arrête à Perm. Je descends, non sans m'être bien couverte, sur les recommandations de mes maternelles voisines. Le temps est bien couvert lui aussi et il fait froid. J'achète de la lapcha et une bouteille d'eau (l'eau refroidie du samovar a un goût atroce) sur le quai avant de remonter dans le train.

Peu après Perm, Tamara et Elena m'informent que nous avons passé l'Oural et que nous voilà arrivés en Asie. Je me retrouve donc sur ce continent pour la première fois de ma vie et ça fait drôle. Je me sens l'âme d'une aventurière exploratrice. Je suis tout de même un peu surprise parce que je n'ai même pas vu l'ombre d'une montagne. Ni même d'une colline. Je crois que leur chaîne de montagnes de l'Oural doit être une hallucination de cartographe.

Cela dit, je ne me laisse pas démonter. Il est bientôt 20h30, Lioubov commence à manger et je décide de l'imiter. Elle m'offre de la saucisse, des concombres, de la pomme et des caramels puis nous commençons à discuter de la vie, des hommes, du travail, de la Russie. Je jacasse avec elle jusqu'à l'extinction des feux à 22 heures et j'essaie de dormir un petit peu avant d'arriver à Iekaterinbourg à 1h28 du matin, c'est-à-dire à 3h28 heure locale.

A 1h, la provodnika me réveille pour que je rende mes draps et que je me prépare à descendre. Mes préparatifs se font dans le wagon endormi dont le silence est tout de même percé par les chuchotements des quelques voyageurs qui descendent à Iekaterinbourg et par le bruit régulier des roues au niveau des éclisses.

A 1h20, je suis prête à descendre. Sauf qu'à 1h28, le train ne fait pas mine de s'arrêter et les silhouettes noires des collines défilent toujours sous un dernier quartier de lune énorme baignant dans un ciel qui n'est pas tout à fait noir puisqu'il semble que le phénomène des nuits blanches ne soit pas propre qu'à Saint Pétersbourg mais bien à une bonne partie de la Russie. C'est-à-dire que la nuit ne tombe jamais complètement. Les jours sont très longs et le ciel garde l'aspect qu'il a à l'aube ou au crépuscule pendant toute la nuit.

Le train arrive finalement à Iekaterinbourg avec 20 minutes de retard. Cela dit, 20 minutes ne sont pas grand chose en comparaison de la durée du voyage donc personne ne râle, ce qui change des récriminations que l'on peut entendre lorsqu'un train français a ne serait-ce que 5 minutes de retard.

Ce que mes spoutniki et moi-même faisons en arrivant à notre première étape vous sera conté dans le prochain épisode.

NB: je sais qu'il peut paraître rébarbatif ou tout du moins étrange que je parle de ce qui s'est passé dans le train. Sachez seulement que c'est une partie importante du Transsibérien puisqu'on passe tout de même plus de la moitié du temps sur les rails. Et les rencontres faites à bord font partie des meilleurs souvenirs que j'en garde...

Edit: les photos attenantes à cette note sont disponibles ici.

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Commentaires
G
Aimes tu la Russie ?? Et la Sibérie, Amour, Altai, Bouriatia, Chita, Tuva ?? A bientot !!!!!!
C
Très chère vieille huître fossilisée, <br /> <br /> C'est avec une joie constellée de paillettes de reconnaissance que je te remercie de ton retour. <br /> <br /> Dans la morphologie de la circonstance de Freud qui rapporte tout au sexe, j'espère que tu reportes ton overdose à plus tard.<br /> <br /> En outre, je me dois de clamer haut et fort que tu me voles la maternité de l'expression bête à manger du foin "peigne-zizi", ce qui te vaudra 4 pater, 70 ave et 200 pompes. C'est Bernadette Scoubidou qui l'a dit à Jeanne De Tir A L'Arc qui m'a envoyé le message par fax.<br /> <br /> Quant aux bébés qui font caca, etc, j'ai dit qu'ils n'étaient pas à proximité, pas qu'il n'y en avait pas.<br /> <br /> Je ne répondrai pas à ta question scato à propos d'un truc qui, selon mes informateurs, se trouverait entre l'eau et le cul.<br /> <br /> Mezamitiés.
R
Alors là, t'es pas sympa ! Tu nous prives de ta plume pendant presque 3 mois et là, d'un coup, avalanche, tu nous ponds un dico.<br /> Dis, tu veux que je couaque d'une over-dose ou quoi ?<br /> Ceci dit, j'me régale toujours autant à te lire mais j'ai frisé* l'indigestion permanente* à un cheveu* près. Heu, mais je vais quand même pas jouer les peigne-zizi* juste quand tu reviens de ta conquête de l'Est, et le portrait que tu brosses* est vraiment au poil*. <br /> Bien les photos : pas de pellicules* coûteuses, mais du numérique pratique.<br /> Et la musique que t'écoutais, "La nuit sur le mont Chauve*", peut-être ?<br /> J'ai ajouté les astérisques (et périls, évidemment !) pour alourdir encore mon propos car je ne digère pas ton long silence.<br /> Lâcheuse !!!<br /> Enfin, tieux vaut mard que jamais, comme dit Monsieur Con-Trepet.<br /> Au fait, tu parles des bébés qui pleurent pas et qui font pas caca, des gens qui ronflent pas, des non-pipelettes, des vieux qui puent pas, à croire que t'étais toute seule dans ton ouagon !<br /> Et y avait pas de péteurs ? Quel est le statut du pet (qui m'est cher, tu le sais) en Russie ?<br /> Se cache-t-on ? Pète-t-on en disant pardon ? Je n'ose supposer qu'on ne pète pas en mangeant ce qu'on y mange...<br /> Sur cette philosophique interrogation existentielle, je te bisoute bien baveusement et sans rancune tenace
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