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Cayou à Moscou
11 octobre 2012

Au feu les pompiers – épisode 2/2 : Le « Rêve »

Nous sommes le mardi 20 mars 2012. Branle-bas de combat : nos grands chefs ont débarqués de France pour la semaine et après une journée chargée de réunions, ils ont invité les cadres de notre équipe locale à un dîner. Même pour ceux qui auraient prétexté avoir piscine ou poney ce soir-là, pas d’échappatoire possible, il fallait répondre ‘présent’ à l’invitation et être au garde–à–vous dans un uniforme impeccable de cadre respectable.

Tous les cadres invités et les patrons partent donc en cortège de nos bureaux direction le café élitiste (dixit les revues de presse sur les restaurants moscovites) « Metchta », autrement dit, le « Rêve », situé sur le Sadovoye Koltso près de la station de métro Paveletskaya et la gare du même nom. Notre convoi comporte cinq véhicules qui se suivent, à l’instar des processions automobiles transportant les ambassadeurs, à ce détail près que nous n’avons pas de petits drapeaux, que ne sommes pas escortés par des hommes en armes et que nos voitures sont pourries plus bas-de-gamme et en mauvais état.

Arrivés au restaurant, nous nous débarrassons au vestiaire de nos manteaux mouillés par le grésil qui s’abat dehors puis allons nous attabler dans la salle haute du café, près d’un poêle en fonte noire qui diffuse une douce chaleur et d’où proviennent les agréables crépitements d’un feu de bois.

Nous devisons gaiement et les discussions vont bon train en attendant que toute la tablée ait fait son choix parmi les mets proposés. Etant donné que ce sont les patrons qui régalent ce soir, pourquoi se priver ? Je ne regarde même pas les prix et jette mon dévolu sur un velouté d’asperges aux noix de Saint-Jacques, des côtes d’agneau braisées accompagnées de légumes du soleil grillés et un pichet de limonade au gingembre (Parce que celui qui conduit, c’est celui qui ne boit pas. Du tout. Comme je l’ai appris à mes dépens il y a 3 ou 4 ans, quelques mois après l’entrée en vigueur de la nouvelle loi sur la tolérance zéro en matière d’alcool au volant – mais ceci est une autre histoire politiquement incorrecte et conséquemment pas racontable. Disons simplement que ce fut la bière la plus chère de ma vie –).

Ellipse narrative qui vous épargne le déroulement du repas sans grand intérêt pour le présent récit. Nous sauterons donc directement au dessert dont j’élude également le détail. Je vous indiquerai simplement que l’atmosphère est détendue : de ceux qui ont un peu  bu fusent de gais éclats de rire pendant que ceux qui conduisent contemplent le spectacle d’un air désabusé. Tous sont par contre identiquement repus, la panse satisfaite et la peau du ventre bien tendue. Les conversations de plus ou moins bon ton continuent dans une ambiance bon enfant. 

A un moment de cette fin de repas professionnel, l’un d’entre nous appelle un serveur pour s’enquérir de la provenance de la légère fumée et de l’odeur de feu de bois plus prononcée qu’au moment où nous nous étions installés dans la salle. Le lascar nous répond que ces petits désagréments proviennent simplement d’une mauvaise bûche qu’ils ont mise dans le poêle. Il nous assure que ça n’est que passager et nous prie, au nom de toute l’équipe du restaurant, de les excuser pour la gêne occasionnée.

Nous n’y prêtons pas plus d’attention que ça et passons commande pour qui des expressos, pour qui des thés accompagnés de petits gâteaux. En pleine digestion, nous nous prélassons en discutant sur les confortables fauteuils et canapés entourant la table.

On nous apporte les thés et les cafés avec l’addition. Et nous notons que la fumée est de plus en plus dense. Nous posons la question à notre serveur qui, visiblement, aimait prendre les enfants du bon Dieu pour des canards sauvages. Sa réponse : « C’est le poêle, ça va bientôt s’arrêter. »

Quelques instants après le départ du serveur, mon voisin de table, les yeux au plafond, nous fait remarquer que de la fumée s’échappe des jointures des poutres en bois du plafond. Et ça ne ressemble pas à une fumigation contre les insectes xylophages. Puis la musique se coupe, les câbles des enceintes qui courent au plafond ayant probablement fondu. Je regarde par la fenêtre.

Sur la façade du bâtiment qui jouxte le restaurant, je vois des lueurs bleutées danser. Elles ressemblent à s’y méprendre à la lumière que feraient des gyrophares. Et elles sont accompagnées d’autres clartés ondulantes qui feraient penser à la lumière que pourraient faire des flammes. Là, je percute et fais partager la conclusion de mes observations à notre tablée : « On va peut-être y aller parce que je crois que le restaurant est en feu. ».

Hésitation. Incrédulité générale. Certains ont ri. D’autres ont eu une ombre d’inquiétude qui est passée dans leur regard. Ça sent de plus en plus le roussi. Heureusement que pour prouver mes dires, un pompier a fait irruption dans la salle en criant : « Mais qu’est-ce que vous foutez encore là ?! Sortez immédiatement, le toit est en feu ! ». Il est passé en trombes près de notre table pour aller au poêle. Les pompiers étaient donc arrivés en toute discrétion puisque nous n’avions pas entendu ne serait-ce qu’une sirène.

L’entrée de ce pompier a mis le feu aux poudres. Peu désireux d’être cuisinés façon omelette norvégienne, nous nous sommes levés dans la précipitation et comme d’un seul homme, nous sommes mus en hâte vers la sortie via un petit passage par les vestiaires parce que la température extérieure était encore bien au dessous de zéro.

Au vestiaire, c’était un peu la panique, instinct de survie oblige. Chacun luttait âprement pour récupérer son pardessus. Le personnel du restaurant avait vidé les lieux. Imaginez une bonne trentaine de personnes effrayées en train d’essayer de récupérer leurs manteaux dans un réduit où ne tiennent que deux ou trois personnes.

Nous avons dépêché notre collègue ouzbèque dans le local pour récupérer nos manteaux. Ça s’est avéré être compliqué parce que reconnaître son manteau noir parmi une trentaine d’autres manteaux noirs sans avoir le temps de vérifier les numéros inscrits sur les cintres, c’est une tâche ardue…

Par chance pour moi, j’avais revêtu ce soir-là un manteau en fourrure grise dont la masse velue était facilement reconnaissable parmi les vestes noires, ce qui a fait que j’ai pu le récupérer rapidement et donc sortir parmi les premiers.

J’ouvre une parenthèse parce que je vous entends persifler d’ici : alors oui, je bats ma coulpe, j’ai osé le manteau de fourrure à Moscou parce qu’on peut tout s’y permettre en matière vestimentaire mais je précise que la fourrure en question est en véritable poil de synthétique et que par conséquent, aucun animal n’a souffert pour la confection dudit manteau.

Par contre, j’ai très honte mais je possède tout de même un élément en vraie fourrure, le seul et unique que j’aie en ma possession : une toque en fourrure de renard polaire. Bon déjà, il faut bien reconnaître que quand il fait -27ºC, ça tient bien chaud et on apprécie d’avoir la tête et les oreilles au chaud. Et la vraie fourrure perd vachement moins ses poils que la fausse.

Et puis, j’ai succombé à la tentation à cause de mon amie Elo donc cette acquisition scandaleuse est presque entièrement de sa faute. Elle voulait deux chapkas en peau de loup pour offrir et j’ai eu le malheur de l’accompagner au marché de Partizanskaya. Les coïncidences ont fait que le vendeur, Alex du Daguestan, connaissait Elo et en était apparemment épris. Il lui a donc fait un prix soldé doublé d'un excellent rabais pour les deux chapkas et ma toque. Et en plus, il nous a invitées au restaurant après. Moi qui suis une fieffée charogne, j’ai lâchement profité de l’attrait de cet homme pour mon amie. Mais l’occasion était trop belle. Sur ce, je vais me fesser avec une pelle en guise de punition tout en portant ma belle toque et je ferme la parenthèse.  

Je suis dehors sous le grésil et je mesure l’étendue du désastre. Sont déjà sur place trois camions de pompiers, deux véhicules de police et une ambulance. Les soldats du feu manient la lance avec adresse et l’eau commence déjà à geler aux abords du restaurant, formant une large patinoire de glace vive sur le trottoir. Toute la toiture est léchée par les flammes qui sont attisées par le vent qui souffle ce soir-là.

Je rigole toute seule me disant : « Ouaiiiiis, encore un incendie, sortez les piques à brochettes et les marshmallows. Et puis une guitare aussi. Ou alors des sardines. ». J’ai quand même les jambes et les dents qui jouent un peu des castagnettes.

J’attends que tous mes collègues sortent du restaurant. Nous formons un petit attroupement à l’écart du restaurant en proie à l’incendie, comme quoi notre atavisme reste celui d’animaux grégaires. Nous nous comptons et recomptons pour vérifier que nous sommes au complet.

Au regard des circonstances, je consens même à un cessez-le-feu vis-à-vis de mon ex-chef avec lequel je rencontrais des problèmes d’atomes crochus, les miens sortant systématiquement toutes griffes dehors à sa vue dans la ferme intention de lui lacérer le visage. Ce soir, j’arrive à ressentir de la pitié pour lui vu qu’il est sorti sans trouver sa veste dans laquelle se trouvaient ses clés de voiture et d’appartement. Pour cette nuit donc, c’est l’accalmie dans nos relations épineuses, je pense reprendre les hostilités le lendemain quand cet événement sera derrière nous.

Une fois rassurés sur nos effectifs et bien que nous n’en menions pas large, nous recommençons à discuter. Nous contemplons médusés et encore sous le choc la toiture se consumer, les flammèches portées par le vent sur les bâtiments attenants et les cendres déposant une fine pellicule sur nos épaules et dans nos cheveux.

Nous nous demandons indignés ce qu’attendait l’équipe du restaurant pour nous informer que nous étions en train de rôtir. Puis nous commençons à plaisanter pour évacuer le stress de l’incident en disant que tout ça aurait pu finir en un méchoui qui aurait quand même décimé l’intégralité de notre équipe d’encadrement. D’autres disent qu’ils avaient déjà prévu de se faire incinérer mais qu’ils ne souhaitaient pas que leur crémation se déroule ce soir. Je suis prise d’un fou-rire hystérique, fou-rire plus d’origine nerveuse que dû à l’humour teinté de suie contenu dans ces boutades.

Puis comme toujours lorsque je suis stressée, je ressens un urgent besoin de miction. Les jambes encore flageolantes, je rentre sans gêne dans un café proche et me dirige droit vers les toilettes. Je constate avec effarement que j’ai le visage noirci par la suie et les yeux rougis. Je sens très fort la fumée. Quand je reviens à notre petit groupe après avoir fait ma petite affaire, je constate qu'ils ont commencé à rompre les rangs, objectif regagner leurs pénates respectifs.

Un serveur nous court après avec la note que nous n’avons pas réglée à cause de l’irruption du pompier dans la salle. Nous l’envoyons d’abord sur les roses en lui reprochant son attitude déplorable qui nous a mis en danger. Puis il finit par amadouer l’un d’entre nous qui lui dit que nous comptons payer par carte bancaire. Le serveur pince la bouche. La machine à carte bleue est dans le restaurant en feu. Quelqu’un lui laisse sa carte de visite pour arranger les modalités du paiement. Puis nous nous dispersons.

Après coup, je lis que le feu a pris à 23h14. Nous sommes sortis du restaurant vers 23h30 à cause des serveurs. 150 mètres carrés se sont embrasés et 50 personnes ont été évacuées sans pertes humaines ou blessés à déplorer. La raison de l’incendie n’est pas encore élucidée.

Voilà donc l’histoire d’un mois de mars de déveine qui fut riche en vicissitudes et où le feu tenait une place de choix. C’est donc aussi le récit de comment j’ai failli aller manger les pissenlits par la racine en me faisant flamber dans un restaurant moscovite mais ne vous mettez pas martel en tête, tout est bien qui finit bien. Enfin presque (voir l'épilogue).

Epilogue

Je reste seule sur le trottoir avec un collègue ukrainien qui ne sait pas comment rentrer chez lui parce qu’il habite loin et qu’à cette heure-ci, il n’y a plus de bus pour aller du terminus du métro jusqu’à son domicile. Il commence à échafauder des théories toutes plus vaseuses les unes que les autres pour regagner son appartement. Je l’interromps séance tenante en lui proposant de le ramener en voiture.

Sauf qu’après une soirée à jouer de malchance, nous n’allions pas nous arrêter en si bon chemin. Scoumoune un jour, scoumoune toujours.

Mon carrosse étant garé dans une petite rue à proximité du restaurant, le pare-brise est recouvert de givre et de glace à cause de l’eau projetée sur l’incendie par les pompiers. Comme ce véhicule était une location que j’avais temporairement, je n’avais pas de raclette. J’ai dégivré le pare-brise du Sandero avec une carte de crédit. J’avais déjà fait du dégivrage avec une brique de jus de fruit et un boitier de CD mais pour que vous le sachiez, la carte de crédit reste le plus efficace quand on n’a pas d’autre plan.

La voiture que j’avais mise en marche le temps qu’elle chauffe pendant que je dégageais le pare-brise m’indique que je n’ai plus d’essence. C’est potentiellement problématique si on considère que j’ai un peu plus d’une quarantaine de kilomètres à parcourir pour faire l’aller-retour me permettant de déposer mon collègue chez lui à Lyubertsy et de rentrer chez moi…

Il faudra donc faire une pause dans une station essence sur Volgogradsky Prospekt et je vais me retrouver à payer le carburant de ma poche kangourou vu que l’essence sera prise en dehors des heures de travail. Tant pis pour moi…

Je m’aperçois ensuite que je suis garée dans une rue à sens unique et je n’ai pas la moindre idée de comment je dois faire pour regagner le Sadovoye Koltso afin de me retrouver en terrain connu. Je dégaine mon GPS. Qui n’a plus de batterie. Et je n’ai pas le chargeur qui est resté dans mon autre voiture.

J’improvise en commettant probablement quelques infractions au code de la route mais j’ai atteint mon but : je suis en direction de Lyubertsy sur une route que je connais.

Nous roulons un moment, faisons le pit-stop à la station service et tombons… dans un bouchon. A minuit et quart. Je hais Moscou. Et j’ai vraiment la poisse ce soir.

Nous passons 45 minutes dans les bouchons. Je dépose mon collègue à 1 heure du matin chez lui, soit une heure de route pour un trajet qui prend une vingtaine de minutes quand le trafic est fluide.

J’ai néanmoins plus de chance au retour et arrive chez moi à 1h30. Le temps de prendre une douche pour enlever l’odeur de fumée et de me coucher, il est deux heures du matin. Et il y a école demain avec les chefs donc pas question d’arriver en retard. Je mets le réveil à 7 heures et m’endors comme une masse pour 5 courtes heures après une longue journée riche en émotions…

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Commentaires
C
Non, je crois que la note n'a jamais ete reglee. Des complications avec la fermeture du restaurant et tout ca...<br /> <br /> <br /> <br /> Mon ex-chef, oui, il se les gelait et c'est pour ca qu'il est parti parmi les premiers. Il est parti avec un autre collegue vehicule qui habitait dans le meme quartier et qui avait un double des cles de l'appartement pour y avoir deja sejourne. Mon ex-chef est revenu le lendemain chercher sa veste et recuperer sa voiture.
G
Un point positif : vous avez pu terminer votre repas avant l'évacuation !<br /> <br /> Mais je crains que le stress et la station dans le froid n'aient légèrement compromis la digestion....<br /> <br /> Inqualifiable la conduite des serveurs, mais ça, je le savais déjà...<br /> <br /> Je suis curieuse de savoir si finalement la note a été réglée.....<br /> <br /> Oui, il y a des journées comme ça..... mais la morale de cette histoire est plutôt positive : vous vous en êtes tous sortis sans bobos, même si la nuit fut courte et le réveil sans doute quelque peu cotonneux....<br /> <br /> Et ton ex-chef, comment a-t-il résolu son problème de clefs de voiture et d'appartement ? En plus, il se gelait, le pauvre...
C
Merci beaucoup !!! Et ravie que ca vous plaise :)
F
J'adore votre style et les histoires que vous racontez ...
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