Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Cayou à Moscou
3 novembre 2006

Périple à Pereslav

Quatre heures du matin quelque part dans la nuit noire moscovite nimbée de brume. La mélodieuse stridence d'une sonnerie de réveille-matin retentit. Une étudiante française émerge difficilement d'un somme de trois courtes heures semées de mauvais rêves.

Une fois ses boules Quiès ôtées et ses yeux ouverts, elle s'accorde un moment pour savourer ce réveil inhabituellement matutinal: le silence environnant, le calme alentour, la sensation étrange de fatigue qui lui emplit la tête, la nuit encore noire et les silhouettes des immeubles rendues floues par le brouillard.

Pour rejoindre le monde des vivants, elle s'offre un petit déjeuner frugal en pensant à la journée qui l'attend : elle va enfin se rendre à Pereslav-Zalesski, une ville de 45000 âmes située au bord d'un lac à 120 km de la mégalopole moscovite. L'étudiante est rejointe à 5h55 précises par le Français qui sera son spoutnik (compagnon de voyage) pour la journée.

Après avoir fait une halte-caresses destinée à l'un des deux chats qui paressent habituellement sur les casiers à lettres du hall de la résidence, les compères quittent tous deux la cité universitaire silencieuse pour rejoindre le métro, curieusement animé à cette heure pourtant matinale. Les deux jeunes gens retrouvent ensuite devant la gare de Iaroslav une étudiante russe qui tenait à les accompagner à Pereslav.

Ils attendent tous trois au milieu de la foule l'elektrichka pour Serguiev Possad de 6h52. A l'arrivée du train, ils sont emportés par une marée humaine qui pousse à qui mieux mieux pour essayer de se trouver devant les portes, ce qui garantit a priori d'avoir une place assise. Ce mouvement de foule fait tomber une dame entre deux wagons qui la traînent sur plusieurs mètres. Heureusement, le train arrivait très lentement et il y a plus de peur que de mal.

Une femme, qui, la minute d'avant, était l'une des premières à pousser, fond en larmes en poussant des gémissements "C'est horrible, c'est horrible". C'est donc les jambes un peu flageolantes que les trois aventuriers prennent place dans le train.

Pendant le trajet, le vieux monsieur assis près d'eux lance une discussion en voyant que l'étudiante française gribouille le portrait d'une voyageuse dans son bloc-notes. Il leur parle de Serguiev Possad et de son école de dessin, de Pereslav-Zaleski, dérivant ensuite sur ses souvenirs d'enfance. Dans le train, beaucoup de jeunes gens ivres titubent en chantant (à 7h du matin...). Bienvenue en Russie.

Le jour se lève un peu avant l'arrivée de l'electrichka en gare de Serguiev Possad où les trois étudiants sont accueillis par l'aube et une température relativement clémente. Étant parfaitement dans les temps, ils se rendent tranquillement à la gare routière pour acquérir les tickets de bus. Ils s'y font sermonner par la guichetière parce que l'un d'eux a payé avec un billet de 500 roubles (15 euros) et un deuxième avec une coupure de 1000 roubles (30 euros), pillant ainsi les réserves de monnaie de la brave dame.

A 8h45, le bus pour Pereslav met son moteur en route et la radio crache de la techno russe pendant que le chauffeur fume une cigarette. Après 1h30 de trajet sur une route uniformément droite dont les ornières sont amplifiées par les suspensions fatiguées du car, les trois compères se retrouvent sur une esplanade un peu sinistre sur le bord de la route. N'apercevant pas le lac auquel ils s'attendaient, ils se renseignent auprès des personnes présentes qui les informent qu'il faut encore prendre un taxi collectif qui fait la navette entre le terminus du bus et Pereslav.

Une dizaine de minutes plus tard, un premier minibus arrive mais il est complet. Le trio frigorifé patiente donc jusqu'à la navette suivante. Lorsqu'elle arrive, un monsieur d'un certain âge dont l'haleine trahit l'absorption récente de boisson alcoolisée les identifie comme étant des touristes et les informe gentiment qu'il y a un musée à l'entrée de la ville.

Les trois étudiants s'arrêtent donc non loin du musée indiqué (musée d'histoire et d'art de l'Eglise de Tous-les-Saints) qui se trouve en fait dans l'un des cinq monastères de la ville. L'ambiance est un peu lugubre: les ciel est couvert, les corneilles croassent et il n'y a pas âme qui vive. Le froid est toujours mordant mais les trois explorateurs font néanmoins le tour du monastère qui s'avère être plus vieux (XIVème siècle), moins imposant et moins bien entretenu que celui de Serguiev Possad mais il inspire tout de même un certain calme malgré les canons qui trônent à l'entrée du musée, témoins aujourd'hui muets de périodes beaucoup moins paisibles.

Au sein des murs blancs du monastère Goritski (monastère "sur la montagne", dont le vrai nom est le monastère de la Dormition), on trouve deux petites églises en bois (l'une a été transformée en caisse et l'autre semble fermée), un petit lac, un buste du prince Youri Dolgorouki (l'homme qui a fondé Moscou en 1147 et Pereslav en 1152), une église blanche apparemment fermée, une cathédrale rose et le réfectoire abritant tous les deux un musée, le tout entouré d'arbres fruitiers et de pelouses.

Pour retrouver un peu de chaleur, le trio décide d'entrer dans le musée qui s'avère être plutôt d'un assemblage hétéroclites d'objets en tous genres. Des iconostases et autres oeuvres de l'art religieux. Des tableaux de peintres contemporains habitant Pereslav ou les environs. Des objets datant de la deuxième guerre mondiale avec un écran plat dernier cri, un peu anachronique, sur lequel défilent des images de l'époque. Une pièce sur l'invention de l'appareil photo (sponsorisée par Kodak). Une autre sur l'usine de dentelle qui se trouvait apparemment dans les environs. La reconstitution d'un salon bourgeois du début du siècle. Une salle qui rassemble des objets de la Russie rurale (métier à tisser, poteries, tenues traditionnelles).

Dans ce sanctuaire austère mais surprenant, des surveillantes sont stationnées toutes les deux salles pour allumer la lumière à l'arrivée des visiteurs et veiller à ce qu'aucune photo ne soit prise. Le tour du musée terminé, les trois protagonistes de ce récit mouvementé grimpent dans deux des tours d'enceinte du monastère. Ce dernier se trouvant sur une colline (appelée traditionnellement colline du Salut*), il domine la plaine en offrant un panorama qui sonne très "russe": les coupoles dorées des églises et cathédrales scintillent au milieu d'un paysage désolé fait d'isbas (maisons en bois) et de broussaille marron.

Comme tous touristes qui se respectent, les trois étudiants prennent quelques clichés de la vue qui s'étale devant eux puis descendent de leur perchoir, direction le "botik" (qui est un petit bateau nommé Fortune, datant de la fin du 17ème siècle, construit avec l'aide du tsar Pierre 1er lui-même).

Seul problème pour aller jusqu'à cette relique, elle se trouve à 3 km du monastère que le trio vient de visiter et le village de Veskovo où se trouve le bateau n'est desservi que par deux bus par jour. Les trois aventuriers de l'extrême décident bon gré mal gré de s'y rendre à pied, dans le froid et la famine (il est 13h30 et n'ayant encore déniché aucun endroit où il était possible de se restaurer, la tartine de pain au pain de 4 heures semble loin, surtout pour la Française-estomac-sur-pattes).

Le trio marche donc un temps certain sur le bas-côté tapissé d'une moquette d'aiguilles de mélèze à la vive teinte jaune. A leur droite, les trois jeunes gens peuvent observer le lac Plescheïevo et l'étendue de broussaille brune qui le borde. De l'autre côté, des forêts de bouleaux et de mélèzes se succèdent sur la longue butte qui longe la route.

A l'entrée du village, on peut voir une isba multicolore dont le toit est décoré d'une théière blanche. La petite maison de bois est en fait un musée de la théière dans lequel les trois étudiants s'arrêteront au retour. Dans Veskovo, ils voient des tabourets sur lesquels trônent des légumes et des fruits mais les babouchki qui les accompagnent habituellement ont dû rentrer se mettre au chaud et elles sont invisibles. Ayant presque traversé la petite agglomération, le trio aperçoit sur sa gauche un petit chemin qui monte dans un bois de sapins dont une petite pancarte indique que le musée de la Marine (où se trouve le bateau de Pierre le Grand) est dans cette direction.

Il commence à pleuvoir quand le trio arrive aux abords d'un bâtiment jaune aux colonnades blanches, encadré par deux grosses ancres, qui s'avère être le musée abritant le fameux botik. Là encore, il ne s'agit pas vraiment d'un musée. C'est une seule grande pièce gardée par deux dames peu aimables où l'on fait le tour dans le sens des aiguilles d'une montre (pas dans l'autre sens, sinon on se fait rappeler à l'ordre par les gardiennes...) du fameux bateau. Le fond de ce navire de bois sombre est tapissé de pièces puisqu'encore une fois, ce lieu semble être propice à faire un voeu. Le tour du "musée" est vite fait et les trois étudiants redescendent la colline pour aller au bord du lac.

Le lac en question paraît très grand (il fait 6,5 km de large et 9,5 km de long) et trois barques colorées sont ballottées par l'eau agitée. Il continue de pleuvoir donc les trois jeunes gens quittent les rives boueuses du lac pour prendre le chemin du retour.

En route, ils s'arrêtent au musée de la théière signalé ci-avant, ce qui offre l'occasion aux deux Français d'entrer pour la première fois dans une isba. La maison de bois est constituée de deux pièces (dont l'une abrite le musée et l'autre une petite boutique de souvenirs) unies par une sorte de four en pierre qui diffuse une douce chaleur dans l'habitation.

Dans l'unique pièce du "musée", une jeune fille fait marcher un vieux tourne-disques qui émet des couinements censés retranscrire un disque qui doit être rayé. Sur des étagères fixées au mur, un assemblage bigarré d'objets, de la théière au fer à repasser en passant par une antique tondeuse rouillée.

Un peu affamés (il est maintenant 15 heures), le trio se remet en route puis, en arrivant dans Pereslav, se lance à la recherche d'un endroit où se restaurer. Deux jeunes filles renseignent les trois touristes en gloussant pendant qu'une femme tire de l'eau d'un puits à non loin de là.

Les trois jeunes gens finissent par dénicher une épicerie qui vend des pirojki, tcheboureki et autres pains huileux fourrés de la gastronomie russe. Ils mangent leur collation assis sur des tabourets en plastique recouverts de coussinets en patchwork, en écoutant une minuscule télévision en noir et blanc qui grésille à cause de la réception médiocre. Pendant leur repas, plusieurs hommes entrent pour acheter soit une bouteille de vin, soit une bouteille de vodka. Bienvenue en Russie bis.

Enfin, le trio va attendre le taxi collectif qui doit les ramener au bus. Malheureusement, la navette tarde à arriver et quand les trois protagonistes montent enfin à bord du minibus, il est 16h20, heure à laquelle leur car est censé partir de l'esplanade où les emmène le taxi collectif. Par chance, lorsqu'ils arrivent à la-dite esplanade, un bus direct pour Moscou s'apprête à partir et ils ont juste le temps de courir pour atteindre l'autobus qui part sur le champ.

Deux heures plus tard de somnolence et de soubresauts, les voici de retour à Moscou, les joues brûlées par le froid mais franchement dépaysés par cette charmante ville de pêcheurs unique dans les environs de la capitale russe. L'agglomération est certes un peu sordide mais finalement, elle a un certain charme malgré la misère qui s'en dégage. Les gens sont beaucoup plus chaleureux qu'à Moscou et ils semblent prêts à partager le peu qu'ils ont. Le problème est que le sentiment qu'on ressent dans ces villes qui reflètent probablement un peu plus ce que peut être la Russie hors de la capitale est assez difficilement exprimable. Actuellement, la rédaction n'est pas capable de trouver les mots pour le dire et elle vous demande de l'en excuser.

* Chaque ville russe a sa colline du Salut (Pereslav en a même deux), du haut de laquelle les voyageurs, dès qu'ils apercevaient la ville, s'inclinaient pour la saluer et faisaient le même geste après l'avoir quittée.

NB: comme d'habitude, les photos seront bientôt en ligne dans un album qui s'appellera "Pereslav".

Publicité
Publicité
Commentaires
C
Hum, c'est vrai que taper à deux doigts prend un peu plus de temps mais je n'en dirai pas un mot. :)<br /> <br /> Quant au tutoiement, ça ne me pose aucun problème, les règles sur Internet n'était pas tout à fait les mêmes que dans la vie.
Q
Je ne pensais pas à toi quand j'ai écrit ce texte, mais effectivement quand tu t'y mets, la barre de défilement à droite n'est pas superflue... Je vais te faire un aveu, mais faut pas le répéter... je tape à deux doigts, alors tu comprends ça prend du temps. Faut pas le dire, ça reste entre nous...<br /> <br /> Bon, je ne t'ai pas vouvoyée très longtemps, n'est-ce pas? Mais ce n'est pas parce que tu as 22 ans et que j'en ai 60. C'est parfois difficile de savoir comment agir, comment l'autre va interpréter la chose. Disons seulement que je ne peux pas m'imaginer ne plus suivre tes «aventures», alors je ne fais que devancer ce qui serait de toutes façons arrivé, en espérant que tu fasses de même. Qu'est-ce que 38 ans dans l'histoire de l'univers?
C
Quasi umbra > :)<br /> <br /> Bien sûr que c'est permis mais j'en suis réduite à rougir devant mon écran. Cela dit, de tels commentaires font plaisir et me motivent pour continuer à écrire...<br /> <br /> En tout cas, je suis vraiment ravie que ma plume, ou plutôt mon clavier, (pour ne pas dire ma "machine à écrire" intérieure, si je dois me sentir visée ? ;D ) vous procure des sensations agréables mais attention, ce blog, même s'il n'a pas vocation à être néfaste pour la santé, doit tout de même être consommé avec modération. ;)<br /> <br /> Rasta > je note une régression des effets dûs à ta consommation de matières illicites, continue comme ça, je te mets les encouragements pour ce trimestre !<br /> <br /> Le Boc > ce sera tout ?
Q
Bonjour Cayou,<br /> <br /> J'ai commencé au commencement (!) et je suis rendu ici dans ma lecture des aventures cayouesques. Tu as une plume magnifique. Ce texte en particulier est vraiment très, très beau.<br /> <br /> Il pleut ce midi à Québec et je ne suis pas sorti marcher comme je le fais presque tous les midis, dans le Bois-de-Coulonges tout à côté. Mais même s'il avait fait beau, je crois que je serais resté ici à te lire. Oui, c'est un compliment. J'espère que c'est permis...<br /> <br /> Bon, retour au boulot...
R
Moi je trouve que c'est cool que Cayou roule sa bosse (hu hu)pour nous et nous fasse voyager (de manière licite, comme qu'elle dirait)...
Publicité