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Cayou à Moscou
30 novembre 2006

(Petites) victoires

Apprendre une nouvelle langue.

Voilà qui doit ramener à l'esprit de la plupart des gens un certain nombre de réminiscences datant des bancs de l'école, du collège, du lycée ou de la fac. Ces souvenirs sont rarement extatiques vu qu'à l'âge où le système éducatif scolaire tente de nous inculquer les bases grammaticales de telle ou telle langue, on est rarement prêt(e) mentalement à cultiver un langage différent de notre langue natale. Or, dans ma vision des choses, apprendre une langue ne doit pas être dissociée de la notion de plaisir. Parce que oui, on peut prendre du plaisir à étudier et à assimiler des déclinaisons et la conjugaison d'une langue étrangère mais rien à voir avec une forme de masochisme, je vous expliquerai pourquoi un peu plus loin.

Donc, essayer de faire entrer de force une autre langue dans la tête des élèves et étudiants est une méthode qui, si elle est parfois efficace, me paraît peu propice à développer la délectation qu'on peut avoir à assimiler la langue étrangère.

Du coup, lorsque je parle de cours de langue, votre propre histoire, votre passé vont normalement faire ressurgir des épisodes désagréables de cours d'anglais du vendredi soir avec une prof acariâtre qui vous faisait lire un texte ennuyeux à mourir pendant que vous ne rêviez que de liberté, de grands espaces ou de vous retrouver devant votre série américaine préférée.

J'ai subi comme la plupart des gens ce genre de leçons qui traînaient en longueur, amenant ma réceptivité à ce que racontait le professeur à un niveau proche de l'imperméabilité. Il s'agissait donc de petites séances de torture que je faisais passer en étant turbulente quand l'ambiance s'y prêtait ou en somnolant quand l'enseignant était un peu plus sévère.

Ce n'est que l'année de ma terminale que je me suis aperçue qu'en n'étant un peu moins braquée, je n'étais finalement pas fâchée avec les langues et que même si ça me paraissait inutile, j'aimais bien apprendre l'anglais et l'italien que j'étudiais peu assidûment à cette époque de ma jeunesse aujourd'hui révolue (:)). Cette prise de conscience ayant été fort tardive, elle ne m'a pas particulièrement rendu service sur le moment en dehors d'une moyenne honorable aux examens du baccalauréat.

J'ai ensuite été parachutée sur les bancs de l'université pour étudier des sujets techniques pendant deux ans. Il faut se dire que si ceux et celles qui sont partis sur cette voie technique ne sont pas engagés en langues étrangères appliquées ou autre filière littéraire, ça n'est pas pour rien.

D'une part, la majorité de ma série à l'université écrivait rarement une phrase dépassant le stade du sujet-verbe-complément et on pouvait dénicher une faute d'orthographe tous les deux ou trois mots. Loin de moi toute moquerie mais leurs capacités littéraires se sont révélées être exécrables.

D'autre part, ce désamour pour les lettres engendrait des cours de langue d'un niveau très faible qui étaient aussi inintéressants que possible mais qu'importe, la plupart des étudiants n'y assistaient même pas. A ce moment de l'histoire, je n'aimais pas franchement ces cours d'anglais bâclés qui n'avaient pas la capacité de susciter mon intérêt vue leur médiocrité.

En arrivant ensuite en école d'ingénieur, les cours d'anglais étaient régis avec une poigne de fer par une dame américaine d'un certain âge qui, outre le fait d'orienter de façon intéressante l'enseignement de l'anglais, était (et est toujours) une enseignante fort sympathique.

J'ai alors senti de nouveau le petit plaisir qui m'avait saisie deux ans auparavant. Devant ce goût insoupçonné pour les langues qui semblait se révéler en moi, j'ai décidé de saisir l'opportunité qui se présentait en prenant des cours de russe. Si vous me demandez "pourquoi du russe ?", je ne pourrais pas exactement vous répondre parce qu'il n'y a pas vraiment de raison rationnelle et qu'il est difficile de décrire l'irrationnel. Disons donc simplement que le sentiment inexplicable (et un peu héréditaire aussi) de totale harmonie avec tout ce qui sonnait russe m'a orientée spontanément vers ce choix.

Pendant les deux ans qui ont suivis, j'ai donc cultivé avec un secret plaisir mon petit jardin des langues où s'entremêlaient mots français, russes, anglais, italiens et de patois provençal.

Ce plaisir a changé quand je suis arrivée en Russie parce qu'il était maintenant soumis à une contrainte nettement plus forte, la nécessité, puisqu'il fallait impérativement que je parle russe pour suivre les cours et vivre le quotidien.

Apprendre la langue devenait donc un petit challenge un peu plus corsé. Depuis mon arrivée à Moscou, il a bien entendu comporté son lot de travail et de découragements mais pour comprendre à quel point il peut être source de gratification, prenez n'importe quel défi que vous vous êtes donné et rappelez-vous quelle sensation on a quand on sent nos pieds fouler la voie de la réussite. Je crois que c'est vraiment un ressenti sans égal que je ne me hasarderai pas à décrire, propre qu'il doit être à chacun.

Le défi linguistique a cela de particulier qu'outre cette gratification provoquée par des succès, même partiels, il met en jeu l'ouverture vers une autre culture, ce qui décuple le sentiment de bien-être et de satisfaction qu'on peut ressentir lorsqu'on arrive à de petites victoires.

On réapprend à se satisfaire de petites choses.

On savoure lorsqu'on ne vous sert pas du poisson avec du chou quand vous avez demandé du porc avec du gruau de sarrasin.

On se délecte quand un professeur ou n'importe quelle personne parlant russe comprend ce que vous voulez dire.

On déguste quand on arrive à prendre en note une phrase entière dictée par le professeur.

On apprécie quand on réussit à dire une phrase complète sans se faire reprendre pour des erreurs de déclinaisons.

On se repaît quand chaque soir, on fait la liste de tous les nouveaux mots appris et retenus dans la journée.

On se régale quand on s'aperçoit qu'on connaît notre tableau de déclinaisons dans son ensemble après des mois à essayer de se le rentrer dans la tête par tous les moyens.

On se plaît à lister ce qu'on savait dire en arrivant à l'aéroport et à comparer le tout (le peu) à ce qu'on est capable de dire maintenant.

Finalement, on se gargarise en faisant ce genre d'article simplement pour dire qu'on a enfin l'impression d'avoir progressé après plusieurs mois de cours et d'efforts intensifs.

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Commentaires
C
Merci mon Rastachouchou.
R
Ben ouais, y a rien d'autre à dire, donc je le dis :<br /> <br /> Bravo !!!
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