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Cayou à Moscou
1 septembre 2007

Le Transsibérien - Jour 5 - Train, silence et introspection

Sans une once de regret, nous laissons Novossibirsk derrière nous le 13 juin à 00h37 pour mettre le cap sur Irkoutsk. Lors de ce trajet, une certaine lassitude s'insinue subrepticement en nous. Elle infeste tant notre mental que notre physique.

La part de fatigue corporelle est due à un sommeil déficitaire puisque voilà maintenant 5 nuits que nous n'avons pas dormi sur la terre ferme.

Bien sûr, il est possible de se reposer dans le train mais il est rare de parvenir à se plonger dans un sommeil profond. Ordinairement, le corps est plutôt baigné dans une torpeur inquiète pendant qu'une pellicule de sueur, imputable à la touffeur du wagon, perle sur la peau. On ne s'endort donc complètement dans le train que rarement.

D'une part parce que la taille des couchettes engendre une peur sourde de se casser la gueule du micro-lit et ce, bien qu'elles soient légèrement inclinées dans le sens adéquat. Cela dit, j'ai trouvé une astuce pour parer à l'absence de protection anti-chute des couches. La paillasse étant toujours trop large, je forme un petit boudin avec le morceau excédentaire de matelas.

Les dimensions lilliputiennes font aussi qu'il faut se coucher dans des positions farfelues pour rentrer dans l'espace qui nous est alloué, ce qui ne contribue pas à la détente musculaire. D'autant plus que les secousses du train, toutes agréables qu'elles puissent être pendant quelques temps, finissent par faire remuer des muscles douloureux, tétanisés, courbaturés ou tendus.

L'autre perturbation qui peut gêner notre organisme est le facteur bruit, notamment lorsque l'on se situe à proximité de la porte des toilettes qui génère des allées et venues bruyantes et permanentes dans la nuit.

La portion de lassitude mentale est en partie liée à la fatigue physique mais pour une raison indéterminée, exposer pour la Nième fois qui nous sommes ne nous enthousiasme plus. Nous voyageons donc enfermés dans un mutisme silencieux. En adoptant cette attitude, nous nous inscrivons dans un stéréotype qu'ont instauré les Russes qui qualifiaient d'ordinaire les étrangers de "muets".

Devant notre ostensible refus de parler, personne ne nous adresse la parole et nous ne tissons aucun lien avec qui que ce soit lors de ce parcours. Par conséquent, il ne s'est remarquablement rien passé pendant cette partie du voyage.

Le paysage change peu. Plaines verdoyantes découpées de haies de conifères, prairies mouchetées de fleurs des champs jaunes, villages désolés constitués d'isbas dont certaines font un évident pied-de-nez aux lois de l'équilibre, routes de terre battue, forêts de bouleaux ou de pins aux troncs rectilignes, rivières sinueuses qui semblent bordées de marécages, isba solitaire nichée au creux d'un vallon arboré...

Vers le milieu du voyage, le ciel se découvre un petit peu, le soleil point et la vue depuis le train paraît moins morne. Il est d'ailleurs extraordinaire qu'une simple éclaircie puisse suffire à mettre en exergue le charme d'endroits qui en sont à première vue totalement dépourvus.

D'ailleurs, en Russie, on s'aperçoit que la distinction beau/laid est malaisée, tant la beauté côtoie la laideur. Ainsi, le palais le plus fastueux, le plus doré, le plus imposant, le plus "beau" pourra laisser le voyageur de marbre alors qu'on peut souvent être profondément touché par le charme simple et sans artifice d'une isba déglinguée, un chat scrutant le visiteur par la fenêtre et une babouchka jetant un oeil curieux en soulevant le coin d'un rideau immaculé.

Cette pensée profonde n'est qu'une parmi les nombreux points auxquels j'ai songé lors de ce trajet de 32 heures. Parce que oui, lorsqu'on a englouti 10 chapitres de Dostoïevski, qu'on a mangé, bu du thé à l'eau du samovar, regardé le paysage, qu'on a passé une heure à prendre sa douche dans les toilettes du train, il ne reste pas grand chose à faire si l'humeur n'est pas à la discussion. Alors on pense.

A sa famille, son foyer (et je mets au défi le moins casanier d'entre vous de ne pas avoir au moins une pensée à ce sujet pendant un voyage en Transsibérien), à la Russie, au décalage entre l'ex-URSS et la France, au passé, au présent, au futur, au conditionnel, à ses relations, au point de non-retour qu'on a atteint lors de ce voyage, au Lac Baïkal qui nous attend, à une entrecôte au beurre maître d'hôtel, à un bain chaud, à sa messagerie électronique probablement débordée de courriers d'admirateurs secrets...

Sur une note plus sérieuse, j'ai pensé aussi aux millions de prisonniers qui ont pu être déportés au "pays de la mort blanche" à cause de la voie Transsibérienne. A ceux qui ont été enfermés dans les goulags de Sibérie. A Dostoïevski qui a passé 5 ans au bagne d'Omsk. Aux ouvriers qui ont sué sang et eau pour construire la voie Transsibérienne dans un climat inhumain. Le Transsibérien est donc mythique, certes, mais je crois qu'il est important de se souvenir que ce chemin de fer a été construit dans le sang et qu'il a été utilisé pour des tâches peu reluisantes...

Edit : je vous ai laissé quelques photos .

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Commentaires
R
La nostalgie a frappé encore une fois.<br /> Mais c'est très beau ce que tu écris, comme si cette introspection t'avait fait grandir (mûrir, je veux dire !)<br /> Comme quoi, casanier (nière ?) ou pas, on peut se lasser du train-train quotidien (ah ah ah !))<br /> UNE heure sous la douche ? T'es gonflée, et les autres, et l'eau ? C'est vrai que ça occupe mais quand même...<br /> Bon, allégeons le propos : tu rêvais d'un bain chaud dans le lac Baïkal et d'un maître d'hôtel au bord de l'entrecôte.<br /> Quant aux admirateurs secrets saturant ta messagerie électronique, ça ne m'intéresse pas, sauf s'ils font partie de la LCR (Ligue de Consommation du Roquefort), du PCF (Persillé des Causses Forcément), du PS (Particulièrement Savoureux), de l'UMP (Uniquement Moisissures Pénicillinées). <br /> Mais oser dire que mon roquefort est Franchement Nauséabond, ça non !!!<br /> Je ferme la parenthèse allégée.<br /> Si tu veux me censurer, tu peux, mais je n'en penserai pas moins.<br /> <br /> Gros poutou baveux
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